Scènes cultes de Network - Scénario de Paddy Chayefsky

Faye Dunaway au bord de la piscine de l'hôtel Beverley Hills, le matin après avoir remporté son Oscar pour Network.

Voici une de mes scènes préférées de Networkchef d'oeuvre écrit et produit par Paddy Chayefsky. Réalisé par Syndey Lumet en 1976. Quatre oscars dont meilleur scénario.

Faye Dunaway et William Holden

Cette séquence est un duel amoureux de haute volée dans lequel quasiment pas une phrase de séduction n'est prononcée. Diana, la jeune productrice télé arriviste et Max, le vieux producteur désabusé passent une soirée ensemble. Elle veut récupérer à tout prix la production de l'émission de Beale, le faux prophète. Il est tombé amoureux d'elle. Au cours de la soirée, l'action se déplace du bureau de Max à l'appartement de Diane, en passant par un restaurant. L'action se passe en sous-texte. Un festival d'attaques et de contre-attaques. 
Regardez la longueur des répliques. Dans les manuels de scénario, ils disent : "privilégiez les répliques courtes". Cette scène, et l'écriture de Chayefsky en général, est un parfait contre-exemple nous rappelant qu'il n'y a pas de règles gravées dans le marbre. Tout ce qui compte, c'est la vérité de la scène : la représentation de personnages réalistes, motivés par des désirs humains qui s'expriment dans le cadre d'un conflit dramatique.
La suite de la scène, 8 pages en tout, est ici: La soirée de Max et Diana.

On en apprend beaucoup sur l'écriture du film dans l'ouvrage Mad as hell, making of Network de Dave Itzkoff, que je conseille aux inconditionnels de Paddy Chayefsky. 
Chayefsky était en quelque sorte le "showrunner" du film, bien avant les showrunners de série TV. L'auteur principal du film donc, et le producteur, condition nécessaire pour garder la main sur le processus créatif du début à la fin. Et ça ne posait aucun problème à Sydney Lumet qui a transcendé le texte dans une réalisation de haute volée. On s'en rend compte dans le livre, Lumet était un maître dans la gestion des egos, celui de Chayefsky était pas mal, et ceux des comédiens. Lumet a toujours su entretenir de bonnes relations avec les auteurs, l'un des secrets de sa longue carrière? Il parle de sa manière de travailler avec les scénaristes, très inspirée du travail des metteurs en scène de théâtre avec les dramaturges, ici.
Sur l'écriture des dialogues par Paddy Chayefsky, voici ce que dit Itzkoff :
"L'écriture de dialogues était le plus grand talent de Chayefsky. Il était une machine à sortir des répliques naturelles - les mots tels qu'ils étaient authentiquement prononcés et tels qu'il souhaitait les entendre - et ils émanaient de lui à des vitesses très variables. Certaines répliques venaient rapidement, et certains discours semblaient jaillir de lui complètement façonnés, prêts à être filmés dès le premier jet. D'autres se développaient à un rythme plus lent et réfléchi, nécessitant des révisions approfondies et évoluant au fil du temps, à mesure que ses réflexions sur ses personnages changeaient. (...) Le monteur interne de Chayefsky coupait les dialogues lorsqu'ils avaient tendance à être trop didactiques - par exemple, une réplique prononcée par Hackett en privé devant ses collègues directeurs de chaîne : 
"La télévision est le moyen de communication le plus puissant qui ait jamais existé. Son potentiel de propagande est resté intacte. Je vous ai envoyé plusieurs mémos confidentiels à ce sujet, Clarence". 
Les monologues de Chayefsky ne passaient pas nécessairement par autant de révision que les échanges de répliques. Au discours d'Arthur Jensen, le président de la société mère d'UBS, la Communications Corporation of America (CCA), qui convainc Beale avec sa "cosmologie d'entreprise", Chayefsky a amputé une longue plaidoirie dans laquelle Jensen affirme que la souffrance humaine est non seulement inévitable mais un élément naturel et nécessaire dans la réaction qui produit le progrès : 
"Notre génération a fait deux guerres mondiales au cours desquelles nous avons tué trente millions d'hommes de plus pour défendre leur dignité", devait-il dire à Beale.  "Nous avons à peine enduré deux crises mondiales et, rien que cette année, vingt-cinq millions de personnes vont mourir de faim. Il y a quelque chose de pas très efficient dans tout ça". 
Une autre scène culte du film est celle du monologue d'Howard Beal qui le transforme de présentateur fou fulminant devant soixante millions de téléspectateurs en une sorte prophète des temps modernes. Je m'étais amusé à travailler cette scène dans un cours de théâtre il y a quelques années, j'avais traduit le monologue. Le voici, avec la scène du film en version originale en dessous. 45 ans après, on peut mesurer à quel point Chayefsky était un auteur visionnaire:
"Je n’ai pas besoin de vous dire que ça va mal. Tout le monde sait que ça va mal. La crise est partout. On voit partout le chômage. L’angoisse de se retrouver sans emploi. Le dollar s'écroule. Les banques connaissent la faillite. Les petits commerçants cachent une arme derrière leur comptoir. Partout on voit des voyous déferler dans les rues et personne nulle part ne sait quoi faire, on est désemparé. On sait maintenant que l’air que l’on respire est pollué. Que notre nourriture est empoisonnée. Nous contemplons notre télévision pendant qu’un présentateur nous annonce tranquillement qu’aujourd’hui il y a eu quinze meurtres et soixante-trois agressions de femmes comme si c’était absolument normal. Nous savons que ça va mal. Pire que mal. Ça se déglingue. Ça se voit bien que tout partout se déglingue, alors forcément on ne va plus dehors. On reste chez soi, en silence. Le monde où nous vivons se rapetisse et tout ce qu’on sait dire c’est « pitié qu’on nous laisse tranquille dans notre salon. Epargnez mon grille-pain et ma télé. Mes pneus increvables à carcasses radiales. Et je dirais rien. Mais qu’on me laisse tranquille. Et bien moi je ne vous laisserais pas tranquilles. Je veux que vous en ayez marre. Je n’exigerais pas de manifs. Pas d’émeutes. Je ne vous demanderais pas d’écrire à votre député parce que je ne sais même pas de quoi se plaindre. Je ne connais pas de recette pour stopper la crise, ou l’inflation ou la Russie, ou le crime et la délinquance. Tout ce que je sais c’est que d’abord il faut que vous en ayez marre. Je veux que vous disiez « Je suis un être humain, bon dieu de merde, ma vie a moi a de la valeur... Alors, je veux que vous vous leviez tous. Je veux que tous vous vous leviez de vos fauteuils. Je veux que vous vous leviez tout de suite. Que vous alliez à la fenêtre. Ouvrez-la. Sortez votre tête et hurlez : « Je suis fou de rage. Je commence à en avoir ras le bol. » Je veux que vous leviez maintenant. Levez-vous. Allez à la fenêtre. Ouvrez la. Sortez la tête et hurlez « Je suis fou de rage, je commence à en avoir ras le bol. » Il faut que ça change. Mais d’abord devenez furieux. Vous devez dire « Je suis fou de rage. Je commence à en avoir ras le bol. Je commence à en avoir ras le bol!»

Network est un must see. Si vous le l'avez pas vu, vous pouvez le louer pour 3,99 euros ici : JustWatch. Foncez !



 

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