Narrations verticale versus horizontale - Tony Tost (The terror, Longmire, Damnation...)

Voici la traduction - avec l'autorisation de l'auteur - d'un article du scénariste Tony Tost. Il y donne sa vision des deux types de narration à l'oeuvre dans les scénarios, qu'il nomme "verticale" et "horizontale". On peut les appeler également narrations classique et minimaliste. Les scénaristes professionnels connaissent bien cette distinction. Mais ce n'est pas toujours le cas des producteurs, chargés de dév ou conseillers de programme. Or cette distinction mal comprise est souvent à l'origine de problèmes pendant les développements. Elle entraîne aussi des disputes entre cinéphiles ou critiques de cinéma, les camps s'opposant sur ce qui fait un "bon scénario". Les anti narration classique la caricaturent comme bassement "commerciale". Les anti minimalisme qualifient ce type d'écriture d'ennuyeuse, "élitiste" et "auteurisante". Une bêtise bien répartie chez les radicalisés des deux camps bien évidemment, ces deux modes n'étant que les pôles d'un éventail de possibilités, comme l'explique très bien Tony Tost. (Un conseil en passant, si vous déposez un scénario dans une commission d'aide institutionnelle, privilégiez le minimalisme, les membres des commissions - quand ils sont en groupe - ont un gros biais culturel anti récit classique. Inversement, pour les "guichets de marché", il y a un gros biais anti minimalisme). La version originale est à lire sur Practical screenwriting, le blog de Tony Tost, l'un des meilleurs du genre.


Narrations verticale versus horizontale

Les plaisirs et les pièges de deux modes d'écriture de scénario



Le point de vue de notre protagoniste, qui voit toutes les petites bombes plantées dans le premier acte engendrer des conséquences verticales.

 

Un scénario n'est pas une grille normative. Ce n'est pas non plus - malgré les rumeurs qui disent le contraire - le plan d'un film ou d'une série télévisée. Un scénario est un document de persuasion conçu pour circuler au sein d'un groupe social restreint et sélectif. Un document qui ne porte qu'un seul message implicite : " Donnez moi une chance. "

Par le biais de votre scénario, vous essayez de persuader des êtres humains appartenant à un groupe social fermé - par exemple le "milieu du cinéma" - de devenir votre agent ou votre producteur, ou de vous engager dans leur room de scénaristes, ou pour adapter une propriété intellectuelle, ou s'attacher les services d'un comédien, d'un réalisateur, ou de financer votre projet. 

(En fait, ma conviction est que ce n'est que dans la brève période qui précède la mise en production que votre scénario est réellement le plan du film).

Mais votre scénario n'est convaincant en tant que document au sein de ce groupe social exclusif que dans la mesure où il se lit comme un film ou une série potentiellement passionnant. Ce qui n'est pas la même chose que de passer à la fabrication concrète d'un film ou d'une série excitant. 

À la première lecture, un scénario est comme un premier rendez-vous. C'est mettre un premier pied dans la porte. Il s'agit d'être séduisant, intriguant et de faire rêver. 

Et là, je pense qu'il vaut la peine de réfléchir au type de mode de narration que vous proposez à votre lecteur professionnel.

Un concept que je retrouve lorsque j'écris mes propres scénarios - et surtout lorsque je lis les scénarios des autres - est le suivant : la narration verticale versus la narration horizontale.

Qu'est-ce que j'entends par "narration verticale" ? Probablement ceci : les scènes et les incidents semblent s'empiler les uns sur les autres au fur et à mesure que vous lisez les pages.

Alors, qu'est-ce que la "narration horizontale" ? Quelque chose comme ceci : les scènes et les incidents semblent s'étaler de plus en plus au fur et à mesure que vous lisez les pages.


Je suis plutôt un auteur d'histoires verticales. J'aime écrire des scénarios qui, je l'espère, vous feront tourner les pages. Je préfère travailler dans le cadre d'un genre, généralement avec une menace de violence qui plane dans l'air. Autrement dit, lorsque j'écris un western, je n'essaie pas d'écrire un anti-western, en déconstruisant les tropes et en évitant les scènes typiques du western comme les fusillades et les confrontations.

Quand j'écris un western, j'essaie d'écrire un "putain de bon western". J'adhère généralement à l'iconographie et aux tropes traditionnels, mais j'essaie de les réimaginer pour un public contemporain. Je ne veux pas éviter les fusillades et les confrontations, je veux en écrire de nouvelles versions exceptionnelles. Les plaisirs traditionnels du genre sous une nouvelle forme, peut-être. C'est-à-dire que je suis beaucoup plus susceptible de tendre vers un Tombstone ou un Django Unchained que vers un McCabe & Mrs. Miller ou La porte du paradis.

Dans un scénario vertical bien écrit, les scènes sont comme une chaîne de réactions chimiques. Le scénario de Die Hard en est un bon exemple. Il est serré, dynamique, captivant. Même la brève scène d'introduction est une mini-masterclass : John McClane s'inquiète de l'atterrissage de l'avion (c'est un type normal, pas un super-héros). On voit son arme de service (c'est un flic). Il sort un gros ours en peluche du compartiment supérieur (il a une famille et c'est Noël). Et bien sûr, le gars assis à côté de lui vante les mérites de marcher pieds nus sur un tapis, ce qui permettra à McClane d'être sans chaussures lorsque les terroristes arriveront.


Tous les temps forts de cette scène de 90 secondes sont comme des petits blocs de construction sur lesquels les scènes suivantes vont s'empiler. Sachant quel type de narration était nécessaire, les scénaristes Jeb Stuart et Steven E. de Souza ont réduit cette scène à son strict minimum. Ils n'explorent pas ici la scène pour son potentiel dramatique ou thématique. Ils ne déconstruisent pas non plus les postulats du genre. Ils n'essaient pas non plus de capturer l'expérience du moment d'un voyage en avion en 1988. Ils mettent en place un protagoniste peu orthodoxe - John McClane n'est pas un surhomme à la Arnold/Sly, mais plutôt un col bleu avec une famille - et avancent dans son histoire.


Comparez cela avec l'ouverture d'un autre film que j'adore, Dead Man de Jim Jarmusch. Comme dans Die Hard, notre protagoniste nous est présenté alors qu'il est en train de se frayer un chemin dans l'histoire. Mais l'approche ne pourrait pas être plus différente :



Dès les premiers plans, vous savez qu'il s'agit d'un type de narration différent. L'objectif n'est pas d'exposer les éléments clefs de l'intrigue. L'accent est mis sur la reproduction de ce qu'a dû être l'expérience d'un voyage en train à travers le pays dans les années 1800. 

Nous retenons les détails isolés simplement parce qu'ils font partie de l'expérience. (Nous coupons sur la lampe à pétrole au-dessus de Depp non pas parce qu'elle va jouer un rôle dans un moment d'action plus tard, mais simplement parce qu'elle est là). Nous entrons et sortons de la conscience de Johnny Depp. Nous avons une sensation de temps qui s'étale, voire d'ennui. 

Les temps forts ne s'empilent pas de la même manière dans Dead Man. Ils sont étalés, nous donnant la sensation de vivre un voyage dans un temps lointain. On pourrait réarranger les perceptions de Depp dans un ordre différent qu'elles auraient toujours un sens. Les sensations sont diffuses, donnant une vision à 360 degrés de ce qu'était le voyage à l'époque, et de ce qu'est le personnage de Depp, et comment il est possible qu'il soit dépassé dans cet environnement.

Chaque scène ne mène pas à la suivante par un effet de cause à effet. Ce n'est pas une réaction en chaîne. C'est un rendu artistique de l'expérience d'un personnage dans sa vie quotidienne. Il faut quatre-vingt-dix secondes à Bruce Willis pour arriver là où se déroule son histoire. Neuf minutes plus tard, Depp est toujours en route vers le lieu de son histoire.


Si je devais généraliser grossièrement, je dirais que la narration verticale donne la priorité aux mécanismes de l'intrigue. En d'autres termes, les détails et les moments d'une scène donnée ne sont importants que dans la mesure où ils sont liés aux scènes précédentes et aux scènes futures pour créer une chaîne ininterrompue de cause à effet.

En revanche, la narration horizontale donne la priorité aux textures sensorielles et émotionnelles d'une scène. En d'autres termes, les détails et les moments ne sont pas importants principalement en termes de fonction de l'intrigue ou de l'histoire - ils sont importants en eux-mêmes. 

Les passagers de Dead Man tirant sur des bisons par la fenêtre du train ne jouent pas un rôle dans l'intrigue globale de l'histoire. (Dans un scénario vertical, Depp serait peut-être plus tard en train de monter à cheval avec un troupeau de bisons, avant de se faire tirer dessus par un autre train qui passe). Le comportement des passagers est significatif en lui-même en tant que partie de l'univers expérimental du film.

Je ne considère pas la narration verticale et horizontale comme un choix mutuellement exclusif. Il s'agit plutôt de pôles le long d'un spectre. Mais je pense qu'il est utile de savoir où se situent vos propres intentions et ambitions dans l'éventail possible de la narration.

Jim Jarmush est l'un de mes réalisateurs préférés. Genre, au top du top. Mais en tant que scénariste, je n'écrirais jamais une ouverture comme celle de Dead Man. Je ne pense pas en avoir la patience. Si le scénario de Jarmusch - qui est en fait un peu celui de Rudolph Wurlitzer, mais c'est une autre affaire - était mon scénario, je ne pourrais pas résister à l'envie d'y apporter un peu de verticalité.

Je ferais probablement quelque chose comme ça : Johnny Depp serait toujours dans le train. Il serait toujours en train de somnoler et de perdre plus ou moins conscience. Mais le personnage de Crispin Glover (ci-dessus) serait également dans le train avec lui pendant tout ce temps. La première fois, Glover est au bout du wagon, parmi les détails du point de vue de Depp. Puis Depp s'endort. Se réveille à nouveau. Tous les passagers ont changé, mais Glover est toujours dans le wagon, mais assis un peu plus près maintenant. Il s'assoupit. Réveil. Les passagers sont à nouveau différents. Mais maintenant Glover est encore plus près. S'assoupir. Réveil. Glover est juste en face de Depp et commence à parler.

Maintenant, je ne dis pas que c'est mieux que ce que Jarmusch (via Wurlitzer) a écrit. Je dis juste que ça correspondrait à ma sensibilité. 

Je suis un poète, tra la la...

Je pense que la plupart des scénaristes doivent appendre à brider un de leurs deux moi intérieurs afin d'éviter qu'il ne prenne le contrôle de leur scénario. 

Certains scénaristes doivent résister à la tentation de laisser leur cancre intérieur prendre le contrôle du scénario. Que fait un cancre intérieur ? Un cancre intérieur se contente de cocher des cases pour faire avancer l'intrigue, recourant pour cela à des dialogues et des tactiques clichées.

D'autres scénaristes doivent lutter contre leur poète intérieur. Et que fait le poète intérieur ? Il s'adonne à des caprices et à des détails personnels dérisoires. Il fait des méandres pour son propre plaisir, perdant finalement le fil et l'élan de l'histoire.

Deux chemins différents qui mènent au même endroit : l'ennui du lecteur.

Si vous êtes plus enclin à la narration verticale, vous devez probablement vous méfier du cancre qui sommeille en vous.

Si vous êtes plus enclin à la narration horizontale, vous devez probablement vous méfier du poète qui sommeille en vous.

Il est ironique que, même si j'ai écrit de la poésie autrefois, je doive toujours veiller à ne pas céder à mon cancre intérieur. Je m'impatiente rapidement devant les "poétismes" du type "The tree of life" et je ne m'y essaie que rarement (voire jamais) dans mon propre travail. Ce à quoi je dois faire attention, c'est de ne pas me contenter de faire une course rapide et grossière à travers mes tropes de genre et mes scènes préférées.


Pour une narration verticale :

Un seul point de vue ou dilemme principal. Une histoire verticale n'est généralement pas une histoire chorale, sauf s'il s'agit d'une situation de catastrophe unique ou d'une situation confinée. Il y a généralement un protagoniste principal fort et clair. Et même lorsque nous nous éloignons du protagoniste, chaque scène a généralement un effet direct sur ce protagoniste d'une manière ou d'une autre. Die Hard en est un bon exemple.

Une seule colonne vertébrale unifie le récit. Dans une histoire verticale, il y a un incident déclencheur et il survient tôt. Tout ce qui précède l'incident déclencheur prépare le terrain. Tout ce qui suit l'incident déclencheur en est la conséquence directe. Pour cette raison, la plupart des histoires de genre - thriller, horreur, comédie romantique, western, crime - ont tendance à être des histoires verticales, à moins qu'il ne s'agisse d'une sorte de déconstruction "art et essai" ou de méditation poétique sur le genre.

Les scènes s'empilent les unes sur les autres. C'est-à-dire que, dès la première scène, chaque dilemme dramatique ou comique mène directement à la scène suivante. Il y a une réaction en chaîne de cause à effet. Les scènes et les lignes d'intrigue ne se déroulent pas séparément les unes des autres, mais en réaction les unes aux autres. Après la fin d'une scène, la scène suivante se produit soit à cause de ce qui vient de se passer, soit pour compliquer ce qui vient de se passer. Même lorsqu'une scène semble être une aberration dans cette logique, il s'avère plus tard qu'elle a joué un rôle essentiel dans l'intrigue principale. C'est comme une routine de Buster Keaton écrite en grand.


Pour une narration horizontale :

Il peut y avoir plusieurs points de vue et/ou dilemmes. Il est toujours possible d'avoir un seul point de vue dans une histoire horizontale, mais elle aura probablement davantage la saveur d'une tranche de vie (pensez aux films de Wim Wenders ou de Jim Jarmusch, ou à Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda). Mais l'une des forces d'une approche horizontale de la narration est son potentiel en termes de dimension. C'est-à-dire que, loin de raconter une seule intrigue, elle peut s'étendre à la narration chorale. Le film Nashville de Robert Altman est un véritable chef-d'œuvre en la matière. Le film d'Altman est un instantané d'une époque et d'un lieu unique raconté par 24 personnages, ce qui lui permet d'explorer une variété de thèmes, principalement l'état d'esprit des Américains. Certains personnages sont liés les uns aux autres, mais Altman et sa scénariste Joan Tewkesbury passent d'un personnage et d'une intrigue à l'autre essentiellement par caprice. En d'autres termes, il passe d'une conversation à l'autre non pas parce qu'il veut montrer les deux côtés antagonistes d'une intrigue, comme dans un thriller d'Hitchcock. Au contraire, il va intercaler deux conversations différentes simplement parce qu'il trouve cela intéressant en soi. 

Une toile unifie le drame. Dans un scénario vertical, une seule colonne vertébrale unifie l'histoire : un casse, une relation amoureuse ou une invasion extraterrestre. Dans un scénario horizontal, l'unité est généralement créée par une sorte de toile. Cela peut être géographique et/ou social, comme dans Nashville, Magnolia, ou Lone Star. Il peut également s'agir d'un réseau stylistique ou thématique, comme dans un film de Malick, Godard ou Paul Thomas Anderson, où les incidents intérieurs ne sont pas nécessairement liés à l'intrigue scène par scène - je pense que l'on pourrait facilement réorganiser la chronologie de nombreuses scènes dans The master, Tree of Life ou Pierrot le Fou, par exemple - mais la voix stylistique est si forte que les films trouvent quand même une sorte d'unité.

Les scènes sont reliées par association, juxtaposition et/ou vibrations. En d'autres termes, il n'est pas possible d'identifier une raison causale unique pour laquelle une scène suit nécessairement la suivante, comme c'est le cas dans Die Hard ou Nuit blanche à Seattle. Une logique de connexion différente est à l'œuvre. Peut-être que le scénariste se déplace entre les scènes pour essayer d'élargir sa toile. Peut-être essaie-t-il de relier ou de juxtaposer deux scènes en raison de leur contenu émotionnel ou thématique. Quelle que soit la raison, les scènes ne sont pas reliées entre elles par une causalité directe, liée à l'intrigue. Les scènes peuvent mener à d'autres scènes simplement parce qu'elles ne sont pas liées à l'intrigue générale.

Mon deuxième film préféré est Pat Garrett et Billy le Kid. C'est un western aux vibrations horizontales. Lorsque les studios ont sorti le film de Peckinpah (après le lui avoir repris), ils ont coupé l'une de mes scènes préférées (ci-dessus). 

Dans celle-ci, Pat Garrett se prélasse au bord de la rivière. Une péniche artisanale avec une famille descend le courant, le père tirant sur des bouteilles que son fils jette dans la rivière. Pat décide de se joindre au jeu et les deux hommes se retrouvent presque dans une fusillade. 

La scène n'a aucune conséquence sur l'intrigue, c'est pourquoi le studio l'a coupée. Mais les versions ultérieures ont heureusement rétabli la scène. Elle capture quelque chose de l'âme du film que la simple narration verticale ne pourrait accomplir de la même manière.

Si la narration verticale consiste à dramatiser la cause et l'effet, la narration horizontale submerge et masque souvent la cause et l'effet. Pourquoi voyons-nous cette famille sur la péniche ? Pourquoi le père tire-t-il sur Pat, puis décide-t-il de baisser son arme ? Cela influe-t-il sur l'état d'esprit de Pat à l'idée de devoir tuer son ami Billy the Kid ? Un scénario vertical dramatiserait ces questions et y répondrait pour nous. Un scénario horizontal se contente de les garder mystérieuses.


On pourrait dire que ma comparaison entre la narration verticale et la narration horizontale n'est rien d'autre qu'une question d'identification des points sur lesquels les scénaristes mettent l'accent.

Un scénariste vertical donne la priorité aux détails et aux incidents qui permettent le développement de l'intrigue principale. Pour ce faire, il empile les scènes les unes sur les autres par le biais d'une relation de cause à effet au service d'une intrigue principale, qu'il s'agisse d'Impitoyable, de When Harry Met Sally ou de Dunkerque.

Le scénariste horizontal met l'accent sur les détails et les incidents qui permettent de développer des qualités émotionnelles, thématiques ou sensorielles intrinsèques. Il associe ces détails et ces incidents pour raconter une histoire qui ne se limite pas à une intrigue unique, qu'il s'agisse de Licorice Pizza, Dazed and Confused ou Nomadland.

La principale raison pour laquelle je pense qu'il est utile de distinguer les modes de narration verticale et horizontale est la suivante : ils peuvent s'entraider.

Lorsque la narration verticale est défaillante, elle n'a qu'une fonction : faire avancer l'intrigue. Elle se transforme en une simple machinerie, cochant les cases d'une histoire que vous avez déjà vue. Ce dont un scénario de ce type a souvent besoin, c'est d'une revitalisation des détails et des personnages eux-mêmes. 

Si vous modifiez un personnage dans une histoire de genre verticale pour qu'il soit suffisamment intéressant afin de faire vivre une histoire horizontale de type " tranche de vie ", vous obtiendrez peut-être quelque chose. Si vous modifiez les détails et les incidents qui font avancer votre intrigue de genre de manière à ce qu'ils soient intéressants même s'ils sont déconnectés de l'intrigue principale, alors peut-être aurez-vous quelque chose.

Steven Spielberg est l'un de mes dieux. L'une des raisons est qu'il raconte des histoires de genre verticales, mais qu'il les peuple de personnages qui pourraient véhiculer un drame de type "tranche de vie". On pourrait raconter un joli petit drame sur Brody des Dents de la mer qui essaie de s'intégrer sur l'île d'Amity en tant qu'étranger dans une communauté insulaire sans jamais faire intervenir un requin terrifiant. On pourrait raconter un drame émouvant sur les familles dans E.T. ou Close Encounters sans jamais faire intervenir d'extraterrestres.

De même, lorsque la narration horizontale est malmenée, elle ne fait rien d'autre que de se complaire dans des détails et des incidents qui n'intéressent que l'auteur. Ce dont un scénario de ce type a souvent besoin, c'est d'une structure verticale en arrière-plan. Les scènes horizontales ne mettent pas nécessairement en avant les détails et les développements clés de l'intrigue, mais ces derniers peuvent se dérouler derrière ou à côté des éléments mis en avant. En d'autres termes, certains de ces détails et observations apparemment fantaisistes peuvent s'avérer avoir des conséquences réelles sur l'histoire. C'est la différence entre se voir présenter une série d'incidents ("Bof") et se voir raconter une histoire ("Génial").



Mon saint patron pour ce type de narration sous-marine est peut-être Yasujirō Ozu, le maître japonais qui a une énorme influence sur des metteurs en scène horizontaux comme Jim Jarmusch, Wim Wenders et Claire Denis. 

Bien que je n'écrive rien qui ressemble à ses films - qui vont de la tragédie domestique paisible de Tokyo Story à la comédie domestique farfelue de Good Morning (ci-dessus) - je l'étudie de près. Il se concentre souvent sur de petits moments et détails de la vie dans son travail de mise en scène. Mais ses images semblent plus grandes que la somme de ces scènes. Cela s'explique par le fait qu'il fait intervenir des développements importants de l'intrigue - mariages, décès, trahisons - mais qu'il les laisse se produire en dehors de l'écran. Nous avons la pointe horizontale, disons, d'un iceberg vertical plus grand.


Dans mes propres scénarios, je me concentre sur cette interaction entre les modes vertical et horizontal. Un autre modèle pour moi est la célèbre scène de Mike Yanagita dans Fargo, où Marge - en pleine enquête sur un trio de meurtres en bord de route - rend visite à un ancien camarade de classe qui raconte une histoire déchirante sur la mort de sa femme. C'est une scène qui est aussi drôle qu'inconfortable. Par la suite, Marge apprend que l'histoire de Mike n'est qu'un putain de mensonge.

Pour beaucoup de gens, cette scène de Mike Yanagita est le sommet de l'absurdité narrative. Soudainement, l'enquête de Marge s'arrête pour qu'elle puisse avoir une conversation inconfortable avec un camarade de classe, pour découvrir plus tard que cette conversation était une fiction totale. Lorsqu'il a pitché la série télévisée Fargo, Noah Hawley a déclaré : 

"Ce que nous devons découvrir, c'est notre Mike Yanagita". Qui est le gars du lycée qui appelle Marge à l'improviste et qui s'avère être cinglé. Et vous vous dites: "Pourquoi est-ce que c'est dans le film ?" C'est dans le film, à mon avis, parce que c'est l'un de ces détails où vous vous dites : "Eh bien, ils ne l'auraient pas mis dans le film si ça n'était pas vraiment arrivé. Ça n'a rien à voir avec quoi que ce soit."

Pour Hawley, cette scène est de la pure narration horizontale. Elle est là simplement pour aider les frères Coen à renforcer le concept "true crime" du film, du fait que la scène n'a aucun rapport avec la trame principale de l'histoire. Cette scène fait en sorte que le film ressemble davantage à la vraie vie, car la vraie vie ne se déroule pas de manière linéaire, avec une relation de cause à effet.

C'est-à-dire que la vraie vie n'est pas verticale. Elle est horizontale. Quelque chose se produit, puis quelque chose d'autre se produit, puis quelque chose d'autre se produit. Et vous ne pouvez pas trouver de raison précise pour laquelle ça se déroule ainsi.

Mike conduit à Jerry, brouillant les lignes horizontales et verticales.


Mais d'autres spectateurs de Fargo, dont moi-même, verront que la scène de Mike Yanagita a une fonction claire dans l'intrigue. Après que Marge a découvert que l'humble et pathétique Mike Yanagita est tout à fait capable de mentir à Marge, elle décide de retourner voir l'humble et pathétique Jerry Lundergaard et de l'interroger à nouveau. Et quand il se dérobe à son interrogatoire, cela lui permet de résoudre l'affaire.

C'est une scène verticale déguisée en scène horizontale.

Et pour moi, ceci est de la narration haut de gamme. Présenter une scène qui, en soi, est si fascinante, si étrange, si captivante qu'elle occulte totalement la fonction d'intrigue de cette scène, même pour un scénariste professionnel du calibre de Noah Hawley.

On pourrait dire que la totalité de Fargo fonctionne ainsi. Il s'agit d'une intrigue policière convaincante, pulp, à l'ancienne, digne d'un film de série B. Mais elle est aussi racontée comme une séquence de portraits fascinants de chacun de ses principaux personnages. Ce n'est ni une narration verticale ni une narration horizontale, mais le mélange parfait des deux modes. 


Alors, qu'est-ce que je souhaite retenir de tout cela ? Probablement ceci. 

Si vous adhérez à cette classification de narration verticale et horizontale, vous devriez probablement commencer par décider de la tendance qui vous intéresse en priorité. Êtes-vous plutôt un scénariste vertical de cause à effet axé sur l'intrigue ? Ou êtes-vous plutôt un scénariste horizontal offrant des plaisirs moins dépendants des mécanismes de l'intrigue ?

Quel que soit votre choix, vous devrez probablement reconnaître qu'il y a un contrat implicite que vous passez avec votre public, en fonction de la modalité que vous choisissez. Si vous êtes plutôt vertical, vous ne devriez probablement pas ouvrir votre scénario par une scène de vie quotidienne de dix pages. De même, si vous êtes plutôt horizontal, vous ne devriez probablement pas ouvrir votre scénario par une scène de démarrage rapide à la Die Hard, qui établit les éléments essentiels de l'intrigue en 90 secondes. 

Toutefois, quel que soit le mode vers lequel vous tendez, lorsque votre scénario fait fausse route, sachez que vous pourrez trouver dans l'autre modalité une issue potentielle à votre problème du moment.

 


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