Quand abandonner un projet ? - Eric Heisserer (Premier contact)

    Comment savoir qu'il est temps d'abandonner un projet ? Quand se rend-on compte que l'on arrive au bout d'une étape, que l'on a perdu de vue ce qui est important ? Comment un scénariste professionnel doit-il associer, ou séparer, la notion de travail pour un client et l'aspect passionnel qui l'anime ?

En bref, quand faut-il dire stop à un développement ?

Le problème se pose différemment en fonction du stade de carrière du scénariste, mais il est toujours compliqué à résoudre. 

Au début, vous avez besoin de signer des contrats pour pouvoir quitter votre job alimentaire. Plus tard, vous devez protéger votre réputation tout en développant des relations avec les studios ou producteurs indé, ce qui est un équilibre parfois difficile à trouver.

J'ai souvent utilisé l'analogie "architecte VS. ouvrier" pour décrire la façon dont un scénariste peut être considéré par un producteur. C'est toujours d'actualité. Vous ne pouvez pas prédire avec précision comment un producteur ou un chargé de développement va vous traiter, vous ou votre projet. Surtout si c'est une commande. C'est difficile à jauger. Parlons donc des innombrables façons dont les choses peuvent mal tourner et de la manière de repérer les problèmes le plus tôt possible.

Premièrement : Vous et votre employeur avez un film ou un projet de série différent dans la tête. En général, cela signifie que vous ne signerez pas de contrat de développement, mais la dynamique est parfois différente. Une fois, j'ai appris après avoir signé mon contrat que mon futur réalisateur voulait pour le projet le ton de CHILDREN OF MEN, alors que mon studio voulait le ton de MIDNIGHT RUN. J'étais foutu. Mais comme j'étais contractuellement obligé de rendre un texte, mon nouveau job est devenu médiateur. Spécialiste en "bidouillage génétique". "Est-ce que ce projet va marcher ?" (Non.) Pire encore, j'ai réalisé que ma référence pour le projet était THE LAST STARFIGHTER, donc personne n'allait être content. J'ai dû quitter le projet. Et ce n'est pas parce que l'un de nous avait tort, notez-le bien. Il est tout à fait possible que n'importe quelle version de ce projet fonctionne au final. C'est juste que je n'étais pas le bon scénariste à ce moment pour eux.

Vous trouverez également des employeurs qui sont tellement heureux que le projet soit en développement qu'ils feront l'impasse sur vos références tonales importantes. Puis, lorsque le texte est livré, leurs sonnettes d'alarme se réveillent soudainement et ils viennent vous voir avec un concept complètement différent. Cette fois, c'est comme un coup de poing dans le ventre. Parce que vous avez fait avec passion votre travail et vous êtes tombé amoureux de cette version. Et maintenant, ils veulent un tout nouveau bébé.

Il y a d'autres fois où on vous considère au début comme un architecte, jusqu'à ce que le projet franchisse une étape importante et que soudainement, on vous met un casque de chantier sur la tête. "Installez ces toilettes dans la cuisine", ils disent. "Euhhh, c'est une très mauvaise idée, croyez-moi, je suis l'expert ici." "Oh ho ho, plus maintenant", ils vous répondent. Ce n'est pas que votre employeur cherche à vous manipuler, c'est généralement parce qu'il croit fermement en sa propre expertise en la matière. Un responsable de développement m'a dit un jour : "Ce n'est pas ça un film d'horreur." Et ce n'était pas pour me rabaisser, c'est parce qu'il pensait vraiment diriger sa PME. Alors, que faites-vous à ce moment-là? Si vous partez, est-ce que ça risque de ternir votre réputation, en vous faisant passer pour quelqu'un de difficile ? Peu enclin à accepter des notes de développement ? Ou bien est-il de votre responsabilité de défendre ce qui vous passionne vraiment, ce en quoi vous croyez ? Qu'est-ce qui a le plus de valeur, la commande ou votre passion?

Je ne peux pas dire ce qui fonctionnera pour vous, je peux seulement souligner que cette question finira par se poser à vous tôt ou tard. Vous devez vous y préparer. Rappelez-vous que vous pouvez tout à fait continuer à écrire des projets qui ne vous apportent aucun épanouissement personnel. Dans ce cas, demandez-vous ce que vous en tirerez en dehors de l'argent.

Certains producteurs ont besoin que vous soyez passionné et que vous défendiez avec acharnement les éléments centraux d'un projet que vous jugez vital. D'autres veulent simplement que vous preniez en compte leurs notes.

Il y a des personnes en position de pouvoir dans les studios ou les chaînes dont la définition de "travailler ensemble" signifie "obéir à ce qui est demandé". C'est ainsi que vous obtenez des showrunners qui cachetonnent et d'autres personnes faisant leur carrière dans une chaîne alors même qu'ils peuvent être mauvais pour une série.

C'est une situation difficile et très délicate de savoir quand vous devez vous retirer, et de le faire dans le respect. Non seulement envers votre employeur, mais aussi envers vous-même. Mais se retirer d'un projet peut faire la différence entre "laisser tomber ce job alimentaire" ou "le garder". C'est douloureux. Mais ce qui est encore plus douloureux, c'est de vivre en faisant des compromis qui, vous en êtes convaincu, nuisent à un projet. Vraiment. Il y a des centaines de scénaristes différents dans cette industrie. Si vous êtes embauché, vous devez vous exprimer avec votre propre voix. Soyez fidèle à cela. Si les gens veulent quelque chose de différent, vous pouvez partir en sachant que vous avez livré votre meilleure version de la chose.

Il y a certains projets dans les studios qui ont été développés pendant des années. Certains depuis plus d'une décennie. Les producteurs et responsables de développement veulent parfois un buffet d'options. À ce moment, vous pouvez faire comme la grenouille dans une casserole d'eau qui se laisse bouillir lentement jusqu'à la mort, en acceptant de petits changements qui font muter le projet jusqu'à ce qu'il soit détruit. J'ai ainsi travaillé pendant un an sur un projet dont les objectifs ont été progressivement déplacés jusqu'à ce que je me retrouve soudainement dans un no man's land. C'est ce qui s'est passé avec SE7EN - après neuf versions, c'était devenu un film d'action avec des flics sympas et aucune tête dans une boîte en carton. C'est Fincher qui est revenu à la première version en disant : "C'est ça le film". Et c'est le film qu'ils ont fait.

Il y a plein d'autres façons dont un projet peut évoluer, et pour des raisons parfois très pragmatiques. Par exemple, votre épisode de série centré sur un enfant de 11 ans ? Impossible à produire car le code du travail exige des journées limitées pour les mineurs, donc ces journées de tournage de 14 heures ont disparu et vous n'avez plus d'épisode.

Donc je dis : choisissez vos batailles, et prenez la situation dans son contexte. Mais protégez l'étincelle de passion qui vous pousse à écrire. Si c'est cela qu'ils vous enlèvent, il est tout à fait respectable de quitter le projet. 

Eric Heisserer

 

Source : https://twitter.com/HIGHzurrer/status/557366343373443072


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