Comment être un mauvais responsable du développement ? - Craig Mazin (Chernobyl, The last of us)

    Tout d'abord, assurez-vous que vous êtes principalement motivé par la peur. C'est facile, car c'est la chose dans laquelle vous êtes immergés chaque jour. Vous travaillez probablement dans un studio, un diffuseur ou une société de production où tout le monde est terrorisé. De quoi? De tout. Car il n'y a pas de formule pour trouver le succès. Les films ont du succès parce qu'ils établissent un lien magique avec des millions de personnes. Parfois, ils échouent à établir ce lien magique avec ces millions de personnes. La partie "magique" n'est pas vraiment magique. La magie est dans la substance avec laquelle vous travaillez. Voici le piège : la substance, ce n'est pas vous, le responsable du développement, qui la fournissez. C'est le scénariste qui la fournit, du moins au début.
Vous avez donc le choix. Croire en la capacité du scénariste, les guider, les aider à faire de leur mieux, ou bien essayer de calmer votre peur en les CONTRÔLANT
Il est probable que les personnes pour lesquelles vous travaillez sont de fervents partisans de la méthode du CONTRÔLE des auteurs. Voilà le genre de choses qu'ils peuvent dire sous l'influence de leur peur :
1. Les scénaristes n'ont pas les réponses. Les seules vraies réponses se trouvent dans les succès passés, parce que ça au moins c'est contrôlable.
2. De toute façon, écrire n'est pas un vrai travail. Un travail concret comme "mettre tant d'heures pour assembler tant de widgets de qualité mesurable en x unités". Les scénaristes sont suspects.
3. Plus vous vous acharnez à pressuriser un scénariste, plus il travaille. Cette quantité est quantifiable, donc contrôlable.
4. Votre travail, votre gagne-pain, est injustement lié à ce que produit tel artiste. Or ce dernier n'est pas un vrai "travailleur" donc vous devez le CONTRÔLER, ou...
5. ... c'est vous qui serez contrôlé. Vous serez alors considéré comme faible par vos collègues producteurs et vos patrons.
La peur vous amène également à diminuer l'importance du scénario dans le processus. Car un scénario n'est qu'un scénario de toute façon. De plus, au moment où le film sortira et fera un flop, vous serez déjà en train de développer LE PROCHAIN GRAND PROJET et vous ne pourrez pas être virés. N'oubliez pas, la méthode du "CONTRÔLE" consiste à privilégier votre propre état émotionnel. La prise de risque, c'est pour les idiots. C'est rarement rentable. En fait, vous le savez bien : presque RIEN n'est rentable en matière de développement.
Alors continuez. Félicitations. 
Bon, votre film n'a pas obtenu le feu vert. Ou alors, il a échoué en salle. Et pendant ce temps, l'autre responsable du développement, ce sociopathe, vient d'être promu, et son film n'est au final pas si différent du vôtre. Alors, pourquoi s'en faire ? On vous a dit que vous auriez du pouvoir dans le développement. Que vous pourriez être celui qui peut appuyer sur le bouton green light. Et ALORS, ce jour-là... vous pourriez enfin faire des choses bien et produire des films formidables. Enfin ! Mais en fait, vous avez compris que tout ça est un mensonge. Vous avez été formé par des gens motivés par la peur. Vous pouvez voir qu'il n'y a que la peur et une envie désespérée de contrôler au fond du coeur de ces gens. Il n'y a rien d'autre. Et plus vous montez l'échelle du pouvoir, plus ça empire. Vous n'avez pas seulement peur pour votre travail. Maintenant, vous avez peur pour le travail de TOUT LE MONDE. 
À côté de ça, il y a certains responsables du développement qui ont réussi en s'occupant vraiment des scénaristes. En plaçant le film au-dessus de toutes les autres préoccupations. Ce sont des exceptions vous vous dîtes? Continuez à vous dire cela. Il y a plein de gens qui font le même travail que vous et qui s'inquiètent comme vous. Alors, continuez à vous inquiéter. Ne montrez aucune croyance dans le projet. Contrôlez. Faites plein de compromis pour atténuer les risques. Répétez les succès passés. Visez une approbation rapide et facile.
Si vous pouvez faire tout cela, il y a 0,001% de chances que vous dirigiez un jour un studio. Mais il y a 99% de chances que vous gardiez votre emploi. Il y a également 99% de chances que vous vous épuisiez et que, dans dix ans, vous vous réveilliez en disant: "Attends. Qu'est-ce que je fous là? À quoi bon?" Peut-être vous souviendrez-vous alors de la raison pour laquelle vous vous faisiez du souci au départ. Peut-être comprendrez-vous alors la véritable valeur des notions de risque et de récompense.
Il est facile d'être un mauvais responsable du développement. Il est difficile d'être un bon responsable du développement. Mais il n'y a aucune récompense à être un mauvais responsable du dév. Si vous voulez gagner de l'argent, vous ne faites pas le bon métier. Allez travailler dans la finance. Si vous voulez du pouvoir, vous n'êtes pas dans le bon secteur. Faites de la politique.
Sachez que vous ne faites pas les films. Votre job est d'aimer, soutenir, guider et chalenger les gens qui eux créent. C'est le cœur du métier. Je vous promets ceci : si vous pouvez vraiment nous aimer, nous scénaristes, nous vous aimerons en retour d'une façon que vous ne pouvez même pas imaginer. Parce que nous mourrons d'envie de travailler avec des gens comme vous.
The end. 
Supplément : pour moi, le QUI est aussi important que le QUOI. J'aime les gens avec qui je travaille en ce moment même. Je ne travaillerai pour personne d'autre. 
Dernier supplément : lorsque les responsables de développement placent vraiment le scénariste en premier, et le "contrôle" du scénariste en second, ils ont au final plus de contrôle sur le scénariste. 
Craig Mazin.
1ère page de son scénario Chernobyl ici



D'autres conseils de scénaristes professionnels ici.

Commentaires