"L'auteur français va avoir une tendance naturelle à chercher de la complexité et la sophistication tout de suite sur un personnage. C'est-à-dire montrer que la vie c'est compliqué, que c'est un millefeuille compliqué, un caléidoscope compliqué. Et il va avoir tendance à vouloir le montrer tout de suite. Les américains font en gros l'inverse. Il montre bien un millefeuille compliqué, comme dans Citizen Kane, mais ils le font successivement, c'est-à-dire qu'ils montrent un aspect d'un personnage, d'une situation, en se gardant bien de montrer les autres aspects, puis ils créent un turning point qui fait découvrir soudain, via une image forte, via une situation, via une révélation, un nouvel aspect. C'est ça qui donne l'impression d'un récit qui avance toujours très fortement, là où l'auteur français naturellement va plutôt montrer tout de suite que la réalité est nuancée, compliquée, difficile à saisir. Et donc c'est une grosse différence. Ça, c'est pour expliquer le manque d'efficacité chronique, pas de toutes les séries françaises bien entendu, mais d'énormément de séries françaises, et malheureusement je dirais souvent des séries les plus inventives. (...)Souvent on s'ennuie comme des rats morts... Pourquoi? Pourquoi malheureusement n'a-t-on pas en même temps qu'un parti pris esthétique, intéressant et audacieux, pourquoi n'a-t-on pas en même temps une exigence de dramaturgie, d'efficacité dramatique? C'est un des maux français. Parce que ce problème qui se traduit évidemment par un effondrement des audiences dès les premières soirées, on le retrouve très très très régulièrement. Et ça, c'est vraiment quelque chose sur laquelle la Guilde des Scénaristes, via toutes les possibilités éventuelles de mobilisation, de formation, de transmission d'informations, a un rôle à jouer. D'arriver par tous les moyens à réinjecter l'efficacité dramatique dans la créativité et à enlever le plus possible l'idée qu'il y aurait opposition - ce qui est une croyance forte dans le cinéma français - qu'il y aurait une opposition entre la créativité et l'efficacité dramatique et donc l'audience et le potentiel commercial. Tout ce qu'on peut faire pour essayer de réconcilier les deux ne peut être que positif pour les scénaristes et pour les spectateurs. (...)Dans le cinéma français, il y a une certaine situation d'étanchéité entre la production cinématographique et le marché. C'est-à-dire qu'une grosse partie de la production française n'a pas de comptes à rendre au marché. En gros les films se font pour d'autres raisons que leur potentiel commercial ou leur carrière en salles. Ça a une influence générale sur les gens qui font les scénarios et les films qu'ils produisent. Aux États-Unis, on est dans un excès inverse. Le box-office, le nombre de dollars rapportés forme l'essentiel de son pedigree. Chez nous cette étanchéité au marché a des conséquences. C'est à dire qu'il y a beaucoup de projets, et là je reviens sur la télévision, où la question de savoir si le public va comprendre et ressentir, et si ça va marcher, n'est pas centrale. Et je dirais particulièrement, malheureusement, dans les projets innovants." - Frédéric Krivine
Extrait de Secrets de scénaristes, ici.
Frédéric Krivine avec Brian de Palma, pour l'adaptation de "Un village français"
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