Parlons "structure" et "marché" avec Paul Schrader

Martin Scorsese et Paul Schrader  - "New Years Eve 1973"

Dans cette interview datant de 1979, le scénariste Paul Schrader, qui a écrit Taxi Driver, Ragging Bull ou First Reformed, parle du rapport entre la "structure" des scénarios et le "marché":


Avez-vous remarqué la question du journaliste français : "Mais ça a l'air très commercial ?"

Ça me fait penser à ce qu'on entend dans certains cercles de "ciné d'auteur", c'est comme un réflexe quand ils parlent de scénario : "Structure = commercial = le mal". Le comble étant atteint quand ce genre de réflexion vient de scénaristes eux-mêmes, il y en a.

Certes, un film avec une histoire bien racontée, pleine d'émotion, qui nous embarque et nous éclaire sur le monde, touchera un public, suscitera le bouche-à-oreille et aura donc un "impact commercial". Est-ce un mal pour autant ? On fait des films pour toucher les gens, pas pour organiser des projections privées à son petit cercle d'amis. En tout cas, c'est la vision que je défends.

Dans la culture anglo-saxonne, et chez beaucoup de scénaristes français modernes, scénaristes de films d'auteur aussi d'ailleurs, mais ayant toujours le souci du spectateur, ou scénaristes de séries, le terme "structure" n'a rien de péjoratif, au contraire.

Parler de structure, c'est simplement parler de l'outil principal pour raconter une bonne histoire : la sélectivité.

Structurer, c'est réfléchir à ce que l'on garde et ce que l'on enlève pour raconter notre histoire. Structurer c'est penser l'évolution du personnage et réfléchir à la manière d'enchaîner les événements de l'histoire pour exprimer de la manière la plus expressive et émouvante ce que l'on a à dire sur le monde. Structurer, c'est sélectionner. C'est choisir. C'est présenter.

Structurer, c'est ce que n'arrivent pas à faire les auteurs débutants, qui surchargent leurs scénarios sans parvenir à choisir et à affirmer un point de vue, qui se perdent dans le chaos de la création. Comme le dit Billy Wilder : "On sait que l'on devient un bon scénariste quand on commence à jeter de bonnes choses à la poubelle".

Tous les plus grands scénaristes de l'histoire du cinéma le disent, le travail de structure est ce qui fait la spécificité du métier de scénariste. Pourquoi ? Car l'on travaille avec une donnée fondamentale : le temps. Contrairement au roman où l'on peut faire durer son récit, où le lecteur peut faire une pause dans sa découverte de l'histoire, nous travaillons dans une tradition orale, avec une contrainte temporelle et rythmique. Ce qui implique une grande sélectivité et donc, un travail de structure.

Faire des choix, c'est le coeur de notre travail. Des choix guidés par le désir, le goût personnel, la recherche d'une vérité émotionnelle. Le scénario est ce qui nous permet de faire le lien entre notre sensibilité personnelle et l'universalité des émotions des spectateurs.

En plus d'être un art, l'écriture est bien un artisanat. Les deux vont ensemble, comme les deux facettes d'une même médaille. "Art is fire plus algebra", disait Borges. Parler de structure n'enlève pas l'art. Parler de structure ne change rien à la phase d'exploration de l'histoire, à la réflexion esthétique ou politique sur le film à venir. À la relation humaine au long cours qu'un scénariste peut établir avec ses réalisatrices ou réalisateurs de cinéma. 

Parler de structure c'est simplement parler humblement du métier. Comme le dit très justement Thomas Bidegain : "On fait un métier de mécanicien. On ouvre le capot des histoires et on se salit les mains".

Le scénariste oscarisé William Goldman le disait en ces termes : "Screenplays are structure".

Lisez l'interview de Schrader en cliquant ici, passionnant. Il est issu de la revue "Cinématographe". N°53, spécial scénaristes, août 1979. Merci à Jean-Marie Bénard d'avoir accepté de le partager.

Pour en savoir plus sur la manière de structurer ses histoires par Paul Schrader, son travail sur l'oralité et les outlines, vous devez voir sa masterclass, un must see. C'est ici.


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